Quelle est ta passion ?
À cette question, il semble parfois difficile de répondre. La passion est définie comme un « état affectif et intellectuel assez puissant pour dominer la vie mentale »1. Les attentes de l’interlocuteur peuvent alors reposer sur le fondement de disciplines préalablement établies : le chant, le piano, la danse, le cinéma, la lecture, l’écriture… Voilà ce que l’on évoque généralement avec enthousiasme. Malgré la pratique de certains sports et instruments, je ne pouvais reconnaitre que ces derniers animaient en moi une réelle passion. Ce n’est que plus tard que j’ai accepté et admis ce qui me captivait vraiment : le comportement humain. D’ailleurs, ma curiosité me pousse encore aujourd’hui à tenter de comprendre pourquoi un individu agit de telle manière dans telle situation donnée. Voilà ce qui domine mon mental et ce, depuis bientôt dix ans. Et le plus curieux, faut-il l’avouer, est cet attrait pour le crime : pourquoi ces individus nuisent-ils aux autres ? Comment un être humain réagit-il face à l’innommable et pourquoi en est-il la victime ? Quels sont les mécanismes qui mènent autrui à commettre l’irréparable ?
Le crime est quelquefois plus complexe qu’il n’y parait. Du délit à l’assassinat, du péché à la trahison, ses attributions varient dépendamment du contexte et de l’interprétation que chacun peut en faire. Toutefois, le préjudice à autrui, autant corporel que moral, semble être le point commun de la criminalité. D’après le dictionnaire de la langue française Le Robert, le crime est décrit comme une « infraction grave que les lois punissent d’une peine afflictive ou infamante ». Il définit également l’« homicide » (meurtre ou assassinat) et l’« action de blâmer » par exagération2. Ce n’est qu’en cherchant des synonymes que l’on rencontre précisément tout ce à quoi il se réfère. Dépendamment du lieu où il est commis, le crime apparait comme un « autoportrait » de la société dans laquelle il s’inscrit et reflète, par une manipulation médiatique, les comportements à ne pas reproduire3. Par la force des choses, les affaires criminelles marquent l’esprit de ceux qui en ont pris connaissance, que ce soit sur le moment concomitant ou par le biais d’une relecture de celui-ci des années après, mais également l’esprit de ceux qui les ont vécues. Certaines affaires peuvent parfois paraitre plus terribles que d’autres, mais je répondrais que chacune est unique.
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En 2019, la population française pouvait lire dans les journaux la réinsertion d’un criminel dans la société4. Après avoir purgé une peine à perpétuité, à savoir vingt-six ans de détention, l’homme ayant assassiné sa famille réintègre la société qui l’a vu condamner pour cette atrocité. Bouleversé par cette affaire, Emmanuel Carrère publie en 2000, sept ans après le drame, l’histoire de Jean-Claude Romand dans son livre intitulé L’Adversaire. Son objectif est de rendre compte des agissements de cet homme et d’en comprendre les motivations. Que pousse un homme à tuer sa femme, ses deux enfants et ses parents ? Toute la vie de Jean-Claude Romand est retracée à l’aide d’informations collectées par l’auteur lui-même et grâce à l’élaboration d’une rencontre personnelle et intime avec l’assassin.
Mais il arrive que le meurtre irrésolu d’une jeune femme de vingt-trois ans ayant eu lieu en 1969 devienne tabou au fil des ans. C’est en effet le point de vue que nous offre Maggie Nelson dans Jane, un meurtre (2021). Cette dernière a choisi d’écrire l’histoire de sa tante, Jane, décédée quatre ans avant la naissance de l’autrice dans l’état du Michigan, aux États-Unis. Cette fois-ci, Maggie Nelson met en exergue la personne qu’était la victime en regroupant des bribes de la vie de sa tante. On peut y lire des poésies et des textes écrits de la main de Jane, datant de son enfance à son adolescence, dans lesquels ses convictions et son combat en tant que militante pour les droits de la femme aux États-Unis sont partagés. Jointe à cette première partie dans un volume tête-bêche s'en trouve une deuxième intitulée Une partie rouge, dans laquelle Maggie Nelson retrace et raconte le procès du meurtrier de Jane auquel elle a elle-même assisté en 2005.
Enfin, le 9 décembre 2005, à sept heures du matin, les Mexicains pouvaient voir sur leurs écrans l’arrestation en direct d’un jeune couple accusé d’avoir kidnappé et séquestré trois individus. La Française Florence Cassez, âgée de trente-et-un ans au moment des faits, se retrouve endoctrinée dans une combine fulgurante auprès de son ex-compagnon Israel Vallarta. Ce mode opératoire mafieux est courant au Mexique : des personnes (et souvent des enfants) dont les proches possèdent de grandes fortunes sont kidnappées et une demande de rançon est effectuée. Une fois le bien saisi, les victimes sont relâchées. Toutefois, l’affaire Cassez-Vallarta, ainsi nommée, a fait couler beaucoup d’encre lors du procès puisque celle-ci est française et crie son innocence. L’État français demandera à ce que Florence Cassez, condamnée 96 ans de détention pour enlèvement et séquestration, soit jugée dans son pays et selon la justice française. Ce débat politique houleux renverra l’image d’une police mexicaine corrompue. Jorge Volpi, écrivain de profession, décide alors de reprendre l’affaire et rassemble les morceaux dans l’objectif de prouver l’innocence des condamnés dans son oeuvre Un roman mexicain parue en 2019.